4 JOURS POUR UNE ORGANISATION QUALIFIANTE


L’évaluation de l’organisation qualifiante

Les principes d’organisation initiaux
Responsabilité et autonomie: les compétences mobilisées par les différents acteurs
Interaction et objectivation: les enseignements de la REX au niveau du groupe de travail


Après un rappel des principes initiaux de la REX, notre bilan d'évaluation relatif à l'organisation qualifiante s'établira autour de deux points. Le premier point porte sur l'évaluation du caractère qualifiant de l'organisation, au regard des objectifs visés. Nous nous emploierons à répondre aux deux questions suivantes :

  • En quoi la REX a-t-elle favorisé ou non des mises en situation de responsabilité et d'autonomie, au niveau du chantier ?

  • Quels enseignements peut-on en tirer sous l'angle des compétences acquises ou mobilisées par les différents acteurs ?

Le second point porte sur l'évaluation des enseignements que l'on peut retirer de la REX du point de vue du groupe de travail. Les questions sont alors les suivantes :

  • Quelles sont les raisons qui peuvent pousser les différents services concernés à s'impliquer dans le développement des responsabilités et de l'autonomie des salariés ?

  • Quelle analyse peut-on faire de la REX sous l'angle des actions managériales ? Cette évaluation peut se faire sous l'angle de la relation entre travail et interaction, rationalité instrumentale et rationalité communicationnelle.

En même temps qu'elle nous conduit à porter notre évaluation à ces deux niveaux, la conception de la REX nous pousse aussi à nous interroger sur le contenu et la signification qu'il convient de donner à la notion d'autonomie.


Les principes d’organisation initiaux

Les principes d'organisation retenus sous l'angle de l'organisation qualifiante comportaient trois axes.

La présence tournante des effectifs avec délégation des responsabilités

Elle repose sur les principes suivants :

  • Le maître bâtisseur principal délègue ses responsabilités au chef de chantier qui le remplace lors de sa journée de repos.

  • De la même façon, le chef de chantier délègue ses responsabilités au traceur qui en fait de même avec l'aide-traceur.

  • Au niveau des compagnons, la délégation se fait transversalement puisque les équipes (voiles, planchers et ferraillage) comptaient chacune deux "leaders" désignés parmi les compagnons et faisant office de chefs de file. Les leaders se remplacent mutuellement au sein des équipes lors de leurs jours de repos respectifs. Par ailleurs, chacune des équipes s'auto -affecte ses jours de repos, en tenant compte de quelques règles de base.

La délégation de responsabilités se décline donc différemment au niveau de la maîtrise et des traceurs d'une part, des compagnons d'autre part. Elle s'organise selon un mode vertical misant sur des responsabilités de type " ascensionnel " dans le premier cas, et selon un mode horizontal visant à reconnaître à l'équipe un domaine de régulation locale, d'autre part.

Un élargissement des missions de chacun

Les principes d’élargissement des missions selon les fonctions peuvent se résumer ainsi :

  • Les leaders ont pour mission nouvelle d'assurer, en plus de leur travail de chef de file, la commande du petit matériel, la réception et le contrôle du gros matériel.

  • Les compagnons ont pour tâche nouvelle le contrôle de la conformité des ouvertures (fenêtres et portes) après décoffrage, s'accompagnant de l'établissement d'une fiche d'auto-contrôle. Les conditions de la pose des mannequins de fenêtre ont par ailleurs été modifiés afin de simplifier le traçage. Cela a aussi conduit à introduire des repères nouveaux sur les mannequins eux-mêmes.

  • Le traceur a pour mission nouvelle la réception, la gestion et la circulation des plans béton et le calcul du cubage du béton, à partir des plans de cycle. En contrepartie, comme nous l’avons indiqué précédemment, le principe d'un traçage simplifié pour les mannequins a été mis en place. Le traceur a également la responsabilité de former l'aide-traceur.

  • Le maître bâtisseur principal et le chef de chantier avaient pour mission nouvelle de promouvoir toutes les innovations associées à la REX c’est à dire principalement l'organisation en quatre jours et la rotation des équipes. La mission du maître bâtisseur était aussi de laisser une pleine latitude au jeune chef de chantier, qui se voyait ici reconnaître une large responsabilité. Il avait pour mission, non seulement de veiller au respect du cycle, mais aussi de promouvoir les différents éléments de la REX : formation des compagnons au contrôle des ouvertures, circulation de l'information, etc.

Le développement d'outils spécifiques propres à assurer l'échange et l'interaction

En termes d’informations, plusieurs dispositions avaient été établies pour favoriser l’accessibilité et les échanges de données techniques et organisationnelles sur le chantier, entre les compagnons eux-mêmes ainsi qu’avec la maîtrise.

  • Un cahier de consignes placé dans le bureau du chef de chantier servait de support à la transmission des informations importantes entre le maître-batisseur, le chef de chantier et le traceur, tous trois appelés à se remplacer dans la rotation sur 4 jours.

  • Pour faciliter la lisibilité de la rotation au sein des équipes, un tableau affiché dans le bureau du maître bâtisseur principal indiquait la composition quotidienne des équipes sur quatre semaines consécutives.

  • Le chef de chantier, ou son remplaçant, affichait tous les jours, dans son bureau, un plan d’avancement journalier.

  • Il était aussi prévu que le chef de chantier distribue le plan de cycle plastifié aux leaders des équipes.

  • Enfin, le principe d’une heure hebdomadaire en moyenne d’information-formation avait été retenu : cela pouvait être aussi bien deux heures tous les quinze jours qu’une demi-jounée par mois, pour discuter collectivement des questions relatives à l’organisation du chantier. Ces échanges pouvaient se faire avec la totalité des compagnons ou par équipe, selon les questions traitées.


Responsabilité et autonomie : les compétences mobilisées par les différents acteurs

Nous proposons de rassembler dans ce second point, les principaux résultats de notre évaluation, quant au caractère qualifiant de l'organisation mise en place. Nous apprécierons ce caractère qualifiant, d'une part en analysant les situations de responsabilité et d'autonomie dans lesquelles ont été placés les différents acteurs sur le chantier et d’autre part en identifiant, la nature des compétence acquises et / ou mobilisées par ces acteurs.

Nous rassemblerons ces résultats, en distinguant la situation respective :

  • de la maîtrise et en particulier, du chef de chantier;

  • du traceur et de l'aide-traceur

  • des leaders

  • des compagnons.

Chacun de ces acteurs s'est trouvé, en effet, placé en situation différente de responsabilité et d'autonomie. Les compétences qu'ils ont acquises ou qu'ils ont mobilisées sur ce chantier se déclinent donc aussi différemment. Le fait de les examiner séparément ne préjuge cependant pas des conclusions que nous pouvons tirer quant à la distance ou à la proximité des changements qu'ils connaissent dans leur travail. Nous nous interrogerons, en particulier, sur le fait de savoir s'ils connaissent ou non des situations d'autonomie proches les unes des autres.

Ceci nous conduit à jeter les premières bases de la distinction que nous opérerons pour apprécier les situations de responsabilités et d'autonomie, d'une part, et pour apprécier l'évolution des compétences, d'autre part.

Un certain nombre de travaux soulignent aujourd'hui la manière dont l'autonomie tend à se redéfinir dans le cadre d'organisations ou de situations complexes, comparativement à la manière dont on avait coutume de la définir dans le cadre d'organisations plus " classiques " marquées par la prégnance de la prescription et du contrôle. De manière très schématique, on peut dire que les situations d'autonomie peuvent être appréciées en fonction de trois types de lecture.

Une première lecture repose sur une conception de l'autonomie comme un espace propre à l'intérieur duquel les acteurs s'organisent de manière autonome par rapport à l'organisation formelle. Ils déterminent les règles d'action auxquelles ils se soumettent. Ils tentent de fixer les modalités de leur activité, sans qu'un acteur extérieur ne leur impose ses normes. La notion d'autonomie se réfère alors au degré d'indépendance que les acteurs parviennent à se ménager par rapport aux prescriptions du travail, par rapport aux règles de contrôle ou par rapport à la hiérarchie. L'un des acquis des travaux des ergonomes est d'avoir souligné l'écart entre le travail prescrit (c'est-à-dire pré-défini) et le travail réel. À la limite, c'est dans cet écart que se loge l'autonomie des acteurs, soit comme un acte de "résistance" à la règle, de mise à distance, et d'affirmation de soi, soit, plus prosaïquement, comme la prise en charge par les acteurs, à titre individuel ou collectif, des "défaillances" de l'organisation formelle. Elle s'accompagne ici de savoirs pratiques spécifiques inscrits dans des règles de métier qui fondent les collectifs de travail.

Une seconde lecture repose sur une conception de l'autonomie qui ne se résume pas à cette " absence d'ingérence ", mais qui renvoie davantage à la capacité du " sujet autonome " de peser sur le cours des choses, en agissant sur le réel de manière efficace. L'autonomie est alors conçue comme une capacité du "sujet autonome" d'agir de manière efficace, en maîtrisant l'univers où il est plongé, et en s'insérant dans un ensemble de forces qu'il contribue aussi à canaliser. L'autonomie renvoie à la capacité des individus d'inscrire leur action, non pas en marge ou en décalage par rapport à une règle ou par rapport à une régulation de contrôle forte, mais par rapport à un réseau de contraintes et de relations qui déborde l’agent. Cette seconde lecture de l'autonomie renvoie à des univers de production plus complexes.

Une troisième lecture, que l'on peut associer à la seconde bien qu'elle s'en distingue cependant, repose sur une conception de l'autonomie comme la capacité d'intégrer et de gérer l'importance des interactions nécessaires entre les individus ou les équipes notamment pour faire face aux aléas et aux incidents et intervenir sur la régulation globale du chantier. Elle peut se définir comme une autonomie-coopération.

La distinction que nous proposons rejoint en grande partie celle d'A. Valeyre. En s'appuyant sur l'exemple des évolutions récentes du travail dans une unité de montage, il distingue différentes formes d'autonomie à l'œuvre :

  • une autonomie-indépendance dans la construction des modalités d'application des prescriptions opératoires,

  • une autonomie-influence dans la définition conjointe des gammes avec les techniciens des méthodes,

  • l'émergence d'une autonomie-coopération au sein des équipes, dans le traitement des dysfonctionnements des flux de production.

La REX nous conduit à intégrer cette distinction dans notre évaluation et à la relier à notre interrogation sur la nature des compétences mobilisées par les acteurs.

Notre démarche d'évaluation a donc consisté à identifier les différentes formes d’autonomie mobilisées par la REX.. Nous proposons d'en rendre compte à partir de la distinction entre les différents acteurs. Pour chacun d'eux, il est intéressant d'examiner :

  • Les nouvelles situations de responsabilité qu'ils ont expérimentées avec la REX, du fait de la présence tournante des effectifs et de l'élargissement de leurs missions.

  • Les formes d'autonomie qu'ils sont parvenus à créer. Nous proposons de le faire à partir des changements qui ont concerné les modalités d'usage du plan de cycle. Il s'agit là, en outre, d'un outil très symbolique, puisqu’il représente traditionnellement, avec le planning, l'exemple type de l'outil de prescription et de contrôle sur les chantiers.

  • Enfin, les compétences qu'ils ont acquises ou qu'ils ont su mobiliser, à partir de la redéfinition des contours de leur activité, de la perception de leurs responsabilités et de leurs capacités d'action.

Au niveau de la maîtrise : l'exemple du chef de chantier

Pour le chef de chantier, récemment promu dans cette fonction, l'apport de la REX se situe principalement à trois niveaux : l'apprentissage de responsabilités nouvelles, la transmission d'expérience et de savoir au traceur, et une implication très forte dans le recalage permanent du plan de cycle en vue de le diffuser aux leaders des équipes.

  • Des responsabilités nouvelles

Pour le chef de chantier, les conditions de la REX sont assez lourdes sur le plan des responsabilités nouvelles. Il doit en effet assumer des responsabilités plus grandes que celles habituellement dévolues à son niveau, dans le cadre d’une organisation innovante (les 4 jours), ainsi que remplacer le maître bâtisseur principal, responsable des trois chantiers en parallèle, le jour où celui-ci prend son jour de récupération, mais également accompagner le traceur et l‘aide-traceur ainsi que les leaders dans l’évolution de leurs fonctions. Le seul énoncé de ces responsabilités nouvelles suffit à marquer l’importance de la charge de travail que cela peut représenter. Si l’on y ajoute que le conducteur de travaux affecté à ce chantier était lui-même peu expérimenté et que l’organisation du déroulement du chantier a dû être revue en cours de chantier, il est assez clair que le chantier expérimental a été pour le chef de chantier un chantier intéressant, mais aussi particulièrement absorbant.

Mais, plus encore que l'élargissement de ses missions, c'est la plus grande autonomie décisionnelle qu'on lui a laissée sur ce chantier qui constitue à ses yeux l'apport décisif de la REX. Cette reconnaissance est à mettre largement au crédit du maître bâtisseur principal, qui a "joué le jeu" en laissant ce jeune chef de chantier faire ses armes. Cette situation de pleine responsabilité a été particulièrement appréciée par l'intéressé : " Sur ce chantier, ce qui était bien, c'est qu'on m'a laissé responsable à 100% du point de vue de l'organisation et du point de vue de la REX : mettre en place les roulements, déléguer la commande de petit matériel, expliquer la REX aux compagnons. Pour moi, ce qui me paraît le plus important, c'est qu'on m'a fait confiance. Et par rapport aux conditions qu'on a eues, sur un chantier qui n'était pas évident, on ne s'en sort pas trop mal. "

  • La délégation au traceur : l'apprentissage de la transmission d'expérience

Dans le même temps, la REX était, pour le chef de chantier, l'occasion d'une autre mise à l'épreuve : celle de déléguer ses responsabilités de chef de cycle au traceur. Cette expérience de délégation est aussi source d'acquisition de nouvelles compétences pour le chef de chantier, mais également l'occasion de la manifestation d'une certaine latitude dans l'interprétation de cette mission.

En effet, la préparation de la délégation suppose à la fois d'anticiper sur le travail à déléguer, de formaliser les informations-clés pour les transmettre à ceux qui assurent le remplacement et de parvenir à les faire passer non pas dans une relation d'autorité mais dans une relation de transfert d'expérience et de connaissance. Cela suppose une capacité de reconnaître dans son métier les éléments pertinents de l’action pour les transmettre de façon hiérarchisée, c’est-à-dire sans surcharger celui qui " apprend ". Cela suppose aussi une grande disponibilité pour les échanges et la diffusion de l’information dans la mesure où la culture du bâtiment est largement orale. Enfin, il faut de la confiance réciproque pour que celui qui délègue le fasse entièrement et pour que celui qui prend une responsabilité nouvelle se sache soutenu, c’est-à-dire, entre autres, qu’il dispose d’un " droit d’ignorance " qui lui permet de solliciter tous les conseils qu’ils juge nécessaire, mais aussi d’un certain " droit à l’erreur " comme le veulent toutes les situations d’apprentissage.

Le principe d’un cahier de consignes dans le bureau du chef de chantier avait été conçu pour transmettre des informations importantes notamment entre le maître bâtisseur principal, le chef de chantier et le traceur, appelés à se remplacer dans la rotation sur 4 jours. Ce support était nouveau sur le chantier, où l’habitude est en effet plutôt de se transmettre les informations oralement et de mener les actions consécutives quasiment en temps réel. La transmission, par anticipation, d’informations relatives au chantier et à son organisation, ne fait pas partie de la culture du chantier. Des efforts certains ont été réalisés par chacun pour augmenter la formulation écrite d’un certain nombre d’éléments, mais le constat général effectué est que, si les efforts pour écrire ont été réels, la boucle est souvent restée ouverte car les destinataires des écrits ont fréquemment oublié de consulter le cahier de consignes…

L’enjeu était pourtant d’autant plus important que le traceur prenait sa journée de repos le lundi, le chef de chantier, le mercredi, et le maître-bâtisseur principal ainsi que l’aide-traceur, le vendredi. Le chef de chantier et le traceur ne se voyaient donc réellement que trois jours, car, le vendredi et le mardi, le traceur avait à assurer lui-même sa coordination avec l’aide-traceur.

Dans ce contexte, le chef de chantier notait sur le cahier de consignes, en particulier le mardi, veille de son jour de repos, le cubage de béton commandé pour le lendemain, la constitution prévue des équipes, ainsi que les deux ou trois points délicats du travail à réaliser le lendemain. Mais une transmission orale de ces consignes venait compléter cette opération : " Sachant que moi-même je n’étais pas là le lendemain, je lui expliquais visuellement ce qu’il y aurait à faire, les points délicats. Je le lui montrais aussi sur le papier. " Cette redondance de l’information écrite par une information orale, plus riche car interactive et prenant en compte les données précises du terrain, explique aussi la désaffection partielle vis-à-vis du cahier de consignes.

L’objet de cet échange était de se mettre d’accord sur les objectifs du lendemain et sur la nature des difficultés du travail prévu. Mais la délégation de la gestion du cycle, par le chef de chantier, était aussi l’objet d’une transmission et d’un apprentissage conçus dans un esprit de nécessaire autonomie du traceur dans le choix de ses méthodes : " J’ai une certaine façon de faire, mais je lui disais : moi, je fais comme ça. Ce qui te semble bon chez moi, prends le et ce qui ne te semble pas bon, fais- le à ta façon. Je verrai ce que tu as fait et je te dirai si c’est bien ou non ".

Dans le même temps, cet échange était aussi l’occasion de repenser la coordination entre les différentes tâches du chef de chantier et du traceur. Le thème de la REX, accentué par le décalage du chantier par rapport au planning, a conduit le chef de chantier à déléguer quelques points stratégiques au traceur. Par exemple, puisque lui-même, chef de chantier, n’avait plus beaucoup de temps pour regarder les plans de béton, il a demandé au traceur d’être très vigilant afin de pouvoir repérer les points où il était possible de lier et de réaliser deux tâches ensemble, plutôt que de les faire en deux temps séparés.

  • La constitution d'une capacité d'action autonome dans un réseau de contraintes : l'exemple du plan de cycle

Le plan de cycle est en quelque sorte l'équivalent de la gamme dans la production industrielle. L’utilisation qui en a été faite par le chef de chantier révèle également la manière dont il a su se construire une certaine capacité de réactivité et d’action " autonome ". Celle-ci se définit par rapport à une série de contraintes " ordinaires " : de délais, de coûts, de gestion du temps et des ressources, de réaction à l’événement. S’ajoutaient ici la contrainte de la rotation des effectifs et le roulement des équipes : " Ce n’était pas évident à comprendre au départ ".

La difficulté à suivre le plan de cycle est apparue très tôt sur ce chantier. D’une part, en raison de problèmes techniques ayant retardé l’exécution du porche d’entrée, au centre du bâtiment, et la rampe d’accès au sous-sol, le cycle a commencé sur une partie du bâtiment, d’un côté du porche. Le chef de chantier avait en effet deux solutions. Soit il attendait que la rampe soit exécutée, pour poursuivre les travaux sur Effidis. Il aurait alors pu suivre le cycle mais inévitablement au prix de la perte de jours de travail. Soit il poursuivait l'avancement, mais en sachant alors qu'il ne pouvait plus rentrer dans le cycle, tel qu'il avait été prévu. D’autre part, les locaux réservés à la crèche ont également été sortis du cycle, ce qui a conduit, à partir du mois de juin, à ce qu’il y ait en réalité deux chantiers en parallèle avec une seule grue.

" Un cycle est fait niveau par niveau. Si vous prenez le rez-de-chaussée, le premier et le second niveau, tous incluaient la crèche. Seulement, la crèche, on n'a pas pu la construire à ce moment-là, on l'a faite après. Donc allez recaler un cycle avec ça. En plus on devait travailler en estacade, par rapport à la partie qui n'était pas finie, où il y avait la rampe. Donc, le cycle, on n'a jamais pu le suivre. Alors, les méthodes ont un cycle qui indique quels voiles on met tel jour. Mais, ce qui est délicat, c'est que si un jour vous avez un élément manquant, si vous n'avez pas fait le voile un jour, le lendemain, on ne peut pas suivre le cycle. Ici, je me suis inspiré du cycle des méthodes, je le recopiais par rapport à ma production de la journée du lendemain ".(Chef de chantier)

Ne pouvant donc, sur ce chantier, suivre le cycle tel que prévu initialement par (et avec) les méthodes, le chef de chantier était donc contraint de l'adapter pour tenir compte de la situation et de l'avancement réel. À cela s’ajoute le fait que la période était marquée par une forte pénurie de main d’œuvre, dont a souffert le chantier au début. Le maître bâtisseur principal s'est toutefois employé à préserver le chantier expérimental, en lui affectant en priorité, le personnel de l'entreprise plutôt que les intérimaires : tous soulignent le manque de connaissance du matériel et souvent la moindre qualification réelle des intérimaires.

La dimension innovante de l’usage du plan de cycle, en termes de réactivité, tient à la manière dont le chef de chantier en opérait quotidiennement le recalage, dans la perspective de pouvoir le communiquer aux compagnons autant que possible la veille. La réactivité se combinait donc à la nécessité d’anticiper sur la journée du lendemain. Elle se manifestait par un effort de préparation et de recalage constants, pour tenir les objectifs de production, malgré une situation en permanence évolutive. L’imbrication des avancements ou des retards des différents intervenants aboutit, en effet, à une série d’actions en chaîne sur lesquelles la maîtrise de chantier doit faire le point journellement. Or, pour y répondre, la maîtrise de chantier a besoin de développer et de disposer d’une certaine " réflexivité ", entendue ici au sens de distanciation par rapport à une activité programmée, et de réflexion fondée à la fois sur la maîtrise des règles présidant à l'activité programmée et sur l'appréciation de sa propre capacité d’action.

Pour ce faire, il est important de comprendre la manière dont le chef de chantier se crée ses propres repères pour définir son action et pour la rendre plus " efficace " dans un réseau de contraintes données. La prise en compte du budget de chantier apparaît ici très importante pour situer cette capacité d'action " autonome ", c’est-à-dire, distanciée et réfléchie, comme une action  " efficace ", c’est-à-dire susceptible d’avoir un effet de transformation.

La place du budget de chantier est, de ce point de vue, profondément ambivalente. D’un côté, en effet, ce budget, préalablement défini par d’autres services, constitue l’horizon des contraintes dont " hérite " le chef de chantier, avec le montant intangible d’heures allouées par type d’ouvrage. De l’autre, il lui ouvre un certain champ d’autonomie pour s’organiser ou, plus exactement, il entre dans le cercle de la réflexivité du chef de chantier, afin de rendre son action plus efficace, compte tenu de ces contraintes.

Le caractère ambivalent du budget de chantier tient aussi au fait qu’il constitue un remarquable aiguillon de productivité. Or, au sein de la productivité, il convient de distinguer entre la productivité " main d’œuvre ", celle qui est obtenue par une économie d’emploi de main d’œuvre, et la productivité du travail proprement dite, qui peut être obtenue à son tour, soit par l’intensification du travail, soit par des innovations techniques et organisationnelles.

Le chef de chantier, qui entend utiliser le budget de chantier comme repère de sa propre action, doit tenir compte à la fois des contraintes du plan de cycle et de celles du budget de chantier. D’un côté, le budget, préalablement arrêté lors de la passation de l'affaire du service commercial au service des Travaux, trace les limites intangibles de ses ressources en heures et en dépenses de main d’œuvre. De l'autre, le plan de cycle définit les objectifs de production journalière, sur la base de l'hypothèse d'un taux de saturation de grue et de calculs permettant d'optimiser la définition et la rotation du matériel.

Il convient de noter que l'une des tendances émergentes aujourd'hui, dans l'établissement du plan de cycle, est de privilégier la qualité du lissage de l'emploi de la grue et d'intégrer ce que l'on pourrait qualifier de " marge de désaturation de la grue ". Cela signifie aussi la recherche d'une autre organisation fondée davantage sur la recherche d'objectifs conçus en termes de " points de rendez-vous ", et qui suppose la construction d'accords avec l'équipe sur la répartition de plages temporelles pour l'usage de la grue. Nous y reviendrons.

Mais ceci permet de rappeler dans quel contexte de réflexion au sein de l'entreprise s'inscrit aussi la REX. L'un des apports du chantier observé est qu'il vient rappeler que ces orientations sont appelées à se décliner dans des situations réelles qui connaissent aussi d'autres contraintes.

Or, face aux contraintes combinées du budget et du niveau de production journalière défini par le plan de cycle, le chef de chantier se trouve placé face à cette alternative :

- soit il cherche à atteindre ces deux objectifs : entrer dans le budget et respecter la production journalière, mais alors les hypothèses de productivité de la main d'œuvre sur laquelle se fonde le calcul de budget peuvent se combiner aux objectifs du plan de cycle pour déboucher sur une intensification du travail. Et de fait, un chef de chantier qui chercherait à se ménager une certaine avance en vue de préserver ses ressources en heures afin de faire aux aléas supplémentaires, peut être poussé par ces contraintes procédurales vers l'intensification du travail dont tous reconnaissent qu'elle n'a qu'une faible valeur qualifiante,

- soit il cherche à éviter cette solution, mais il doit alors trouver d'autres modalités pour construire son action efficace au regard de ces objectifs , dans un contexte réel qui se présente toujours différemment du contexte planifié : l'activité de chantier se caractérise, en effet, par l'importance des interdépendances et par la force des enchaînements. Les événements ne s'y présentent toujours qu'avec des effets en chaîne. C'est donc d'abord dans la capacité à recaler son action, face à la situation réelle, tout en la situant dans l'interdépendance avec d'autres actions et dans la représentation anticipée des effets en chaîne que se situe une partie du savoir-faire du chef de chantier. Mais c'est aussi dans sa capacité à trouver d'autres alternatives que l'intensification du travail, en misant sur des solutions réfléchies, fondées sur l'anticipation, que se définit aussi sa capacité d'autonomie.

Mais peut-on encore parler de savoir faire quand le travail repose sur la mobilisation de ce qu'il faut bien appeler des capacités cognitives et anticipatrices qui n'ont pas seulement pour objet direct le travail de la matière mais de plus en plus le travail sur le produit des actions et des interactions de soi même et des autres ? C'est bien dans tous les cas, dans ces termes qu'il convient de penser le travail du chef de chantier et la complexité des apprentissages qui y mènent.

Or, ces capacités cognitives et anticipatrices s'appliquent au pilotage de l'organisation du travail et de l'usage du matériel en tenant compte sans cesse de ces deux contraintes qui ont entre elles un rapport relationnel direct : la contrainte de temps et de délais et la contrainte des ressources.

En ce qui concerne la contrainte de temps, tout l'enjeu - et la difficulté - consistent à faire en sorte que le résultat produit par l'organisation réelle des hommes sur le chantier rejoigne, in fine, une représentation du travail et du temps nécessaire à la production, construite à partir de ratios fondés sur la mesure du temps nécessaire à la réalisation de tâches

En ce qui concerne la contrainte de ressources, tout l'enjeu - et la difficulté - consistent à faire en sorte que, dans le même temps, ce déroulement du travail réel coïncide avec une autre représentation du travail, où celui ci est conçu, cette fois-ci, non plus comme une capacité productive, mais comme une dépense, c’est à dire aussi une consommation de " ressources ".

Or, en dehors de travaux établis et de techniques éprouvées, il n'est pas certain que ces deux représentations du temps et du travail, l’une physique, l’autre économique, se recouvrent nécessairement. Et il n’est pas certain non plus qu’elles coïncident avec le déroulement réel du travail sur le chantier. Tout l’effort de la maîtrise du chantier est de parvenir à faire en sorte que ces deux séries de résultats se rejoignent réellement. Or, ce que révèle l’organisation qualifiante, c’est que le principe même de cette coïncidence devient problématique.

Ainsi, bien que ce chantier expérimental ait disposé de moyens supplémentaires, un compagnon pour les ouvrages annexes, pour tenir compte de l'élargissement des tâches des compagnons, il apparaît que le budget d'heures était mal évalué pour certaines tâches. L'exemple de l'établissement de fiches de contrôle, destinées à vérifier l'emplacement et la position des ouvertures après décoffrage, est à cet égard instructif par ce qu'il révèle non pas d'un manque d'utilité ou de légitimité aux yeux des compagnons, mais bien de manque de disponibilité des compagnons et d'incompatibilité avec les heures initialement allouées.

Cependant, le budget, en contrepartie des contraintes qu’il impose, peut être aussi utilisé par la maîtrise de chantier comme un moyen de contrôle des travaux qu’on lui demande de réaliser. Ainsi, ceux qui n’entrent pas dans sa mission et qui ne sont donc pas budgétés, ne doivent pas venir en déduction des heures qui lui sont allouées. Autrement dit, le chef de chantier peut considérer qu’il entre, par l’intermédiaire du budget, dans un processus de contractualisation vis-à-vis de l'entreprise. Ce processus de contractualisation illustre une autre forme de réflexivité et de capacité à se ménager une " action autonome "

D’un autre côté, le plan de cycle impose aussi d’autres contraintes au chef de chantier. Comme nous l’avons souligné précédemment, il est en effet, en grande partie, tenu par la logique de l’enchaînement du matériel, qui fonde le plan de cycle, ne lui laissant ainsi qu’une marge d’autonomie étroite. Néanmoins, le fait que, dans cette REX, le chef de chantier ait eu à établir quotidiennement le plan de cycle du lendemain, pour le distribuer aux compagnons, a contribué à accroître sa capacité d'influence sur le plan de cycle, indispensable pour autoriser une meilleure réactivité du chantier.

Cette capacité d'influence sur le plan de cycle par le recalage quotidien est quelque peu différente de la capacité d'influence que le chef de chantier peut théoriquement exercer lors de la préparation du cycle avec les méthodes, avant le démarrage du chantier. Cette dernière procédure, qui s'est développée au cours des années 1980, vise surtout à accroître la fiabilité des prévisions des méthodes quand l'accroissement de la variété des chantiers a rendu ces négociations préalables indispensables. Le recalage quotidien du plan de cycle, dont le principe et la mise en forme objectivée reviennent au chef de chantier, s'inscrit davantage dans un objectif de réactivité à l'événement. Elle élargit son espace d'autonomie décisionnelle et transforme en partie les formes de coopération avec les méthodes, en inversant, si l'on peut dire, les dynamiques d'apprentissage croisées. En effet, tandis que, lors de la préparation du chantier, ce sont essentiellement les méthodes qui fiabilisent leur " outil " par l'échange avec le chef de chantier ou, en d'autres termes, c'est la logique-méthode qui est prédominante, avec le recalage quotidien du plan de cycle c'est, à la limite, la logique-chantier qui guide l'interprétation des outils "méthodes" par le chef de chantier.

Certes, on n'est plus dans la situation décrite par le maître bâtisseur : " Autrefois, c'étaient les chefs de chantier qui faisaient le cycle. Le grand avantage c'est qu'on le connaissait par cœur ". Désormais, c’est dans la connaissance des contraintes et dans la capacité d ‘y inscrire son action, que se situe l’autonomie du chef de chantier. C'est incontestablement à partir d'elle que le plan de cycle peut servir d’outil d’anticipation et de réactivité. Il peut le faire, mais à une condition qui nous paraît essentielle : c’est que le chef de chantier soit impliqué dans sa réalisation concrète. En prenant la mesure de la capacité d'action que lui donne cet usage du plan de cycle, le chef de chantier n'en exprime pas moins l'importance qu'il accorde aux échanges avec les méthodes : " J’aimerais pouvoir prendre le temps avec les méthodes, regarder les plans, réfléchir, et trouver des combines, des astuces, des trucs comme ça... M’organiser, c’est ce que je recherche dans mon travail. Ce travail devrait être plus intellectuel que ce que l’on fait d’habitude ".

De cet examen de la situation du chef de chantier, nous retiendrons trois aspects sous l'angle des processus d'acquisition et/ou de mobilisation des compétences mises en lumière par la REX.

  • D'une part, l'importance de réagir continûment à l'événement suppose des capacités de prévision et d'anticipation qui appellent de nouvelles formes d'autonomie au niveau du chef de chantier. Dans le même temps, la mission du chef de chantier était aussi d'assurer, à travers la transmission du plan de cycle, les conditions d'une plus grande lisibilité sur leur travail aux compagnons.

  • D'autre part, ces formes d’autonomie se déclinent à la fois en termes de reconnaissance de son autonomie décisionnelle et de l'importance de l'interaction cognitive avec les méthodes, celle-ci étant conçue comme une dynamique croisée d'apprentissages réciproques.

  • Ensuite, le rôle décisif et catalyseur qu'ont joué, du point de vue de l'acquisition des compétences au niveau du chef de chantier, les interactions avec le traceur et les compagnons, dans le contexte de la présence tournante et de la diffusion du plan de cycle aux compagnons. On notera ici la manière dont tant le maître bâtisseur principal que le chef de chantier ont interprété la mission qui leur était confiée. Dans les deux cas, la conception des délégations de responsabilité par les intéressés s'est fondée sur la reconnaissance de la responsabilité qu'ils avaient envers ceux qu'ils formaient et du "droit à l'erreur" comme principe essentiel de l'apprentissage

Ces différentes dimensions permettent d'esquisser ce que pourraient être de nouveaux profils de chefs de chantier.

Dans le même temps, cette mission du chef de chantier souligne la difficulté à concilier la réactivité nécessaire face aux événements et la fourniture aux compagnons de documents, avec une anticipation suffisante pour leur permettre d'anticiper à leur tour sur leur travail.

L'un des apports de la REX est de souligner la nature de cette difficulté et de désigner sans doute, ici, un axe de réflexion future.

Les compétences acquises ou mobilisées au niveau du traceur et de l'aide-traceur

La rotation de l’encadrement de chantier sur 4 jours a été, incontestablement, un levier puissant de l’évolution du travail du traceur et de l'aide-traceur. Dans le même temps, le contenu de leurs délégations montre bien que la recomposition de leurs responsabilités s'insère dans un contexte marqué par l'absence ou la suppression de la figure du chef d'équipe. Comment la mission du traceur s'est-elle redéfinie, tendue entre cet aspect et l'élargissement des contours de l'activité du traceur ?

La REX, à cet égard, est riche d'enseignements, mais débouche aussi sur un certain nombre de questions. Dans leur cas, nous distinguerons la filière ascensionnelle vers la maîtrise qu'a incontestablement représentée la REX et la réflexion sur l'évolution du travail du traceur, chacun de ces éléments combinant des compétences spécifiques.

  • Une filière ascensionnelle vers la maîtrise.

Le principe de rotation de la maîtrise est sans nul doute porteur d’évolution rapide pour ceux qui se voient confier des responsabilités en l’absence programmée du "titulaire" du poste, comme cela a été le cas du traceur "remplaçant" du chef de chantier et de l’aide traceur "remplaçant" du traceur. Le fait que le compagnon traceur soit mis en situation de remplacer le chef de chantier le jour où celui-ci est absent et qu’il soit lui-même remplacé par l’aide traceur à la fois ce jour-là et le jour où lui-même est absent, constitue une mise en situation remarquablement efficace pour développer les compétences nécessaires à l’exercice d’une responsabilité supérieure. Néanmoins, comme nous venons de le voir, l’efficacité du dispositif repose largement sur la maîtrise de chantier et sur la qualité de la délégation et de l'apprentissage qu'elle a su opérer.

Les observations systématiques effectuées auprès du traceur, en l’absence du chef de chantier, montrent clairement l’apprentissage réalisé au cours du temps. L’une de ces observations a en effet été effectuée au début du chantier expérimental et l’autre vers la fin. La répartition des activités réalisées par le traceur s’éloigne en effet nettement de la fonction de traceur lors de la deuxième observation tandis que, dans la première, la part consacrée au traçage et à l’étude des plans reste encore importante puisqu’elle occupe plus de 25 % de son temps. Le traceur a une conscience claire de cette évolution et il souligne que l’une des difficultés qu’il lui a fallu surmonter est la nécessité "d’abandonner des choses connues, et sur lesquelles il n’a donc pas de doute quant à sa compétence, pour en apprendre d’autres".

Dans cet apprentissage, la qualité des relations avec les compagnons des équipes est aussi un atout important. Nous avons noté dans les entretiens systématiques que nous avons eus avec les compagnons, y compris le grutier en titre et son remplaçant occasionnel, une reconnaissance de la qualité du travail réalisé par le traceur. Il semble que les compagnons aient particulièrement apprécié ses capacités à gérer au mieux les besoins du chantier, notamment en ce qui concerne la mise à disposition de la grue auprès des différentes équipes. Cette compétence était particulièrement précieuse car elle permettait, sinon de les éliminer, du moins de limiter les conflits d’intérêt entre les équipes. Le traceur estime de son côté qu’une partie de cette compétence lui vient de ce qu’il a lui-même assez longtemps travaillé comme bancheur, ce qui est un atout important pour organiser le chantier en respectant les besoins des équipes et du traçage.

Devant la qualité et la fiabilité du travail du traceur et de l’aide-traceur, et compte tenu de ses propres contraintes, le chef de chantier a clairement été tenté de s’appuyer de plus en plus sur leurs capacités en déléguant au traceur, même lorsque lui-même était présent, une partie de ses responsabilités, ce qui induisait que l’aide-traceur soit en fait plus souvent que prévu le traceur en titre. D’une certaine façon, le traceur a progressivement fait office d’adjoint du chef de chantier et l’aide-traceur s’est trouvé traceur de fait. Cette organisation était d’ailleurs plus proche des besoins réels du chantier, le maître bâtisseur (responsable des trois chantiers ouverts en parallèle sur le site, dont le chantier faisant l’objet de la REX) ayant souligné à plusieurs reprises, lors de réunions ou d’échanges informels, que sur le chantier de la REX, compte tenu de sa taille et de l’agencement des différents bâtiments, le chef de chantier aurait dû être assisté d’un adjoint. De ce fait, en dépit d’une réelle satisfaction vis-à-vis des responsabilités exercées et du souhait de voir reconnaître ses nouvelles compétences sur un futur chantier, le traceur voyait avec un certain soulagement arriver la fin du chantier, convaincu qu’il ne pourrait pas tenir plus longtemps au rythme auquel il était vers la fin du cycle. Par ricochet, le sentiment de l’aide-traceur était similaire car l’indisponibilité plus grande du traceur faisait retomber sur lui une part plus importante du traçage, créant une pression temporelle qui a pu aller jusqu’à ce qu’il se retrouve dans la position de " tracer les voiles avec le panneau au-dessus de la tête ".

  • La redéfinition de l'activité du traceur : entre figure professionnelle classique et nouveau profil associé à la maîtrise de l'événement technique

Dans le cas du traceur, la REX apparaît aussi porteuse d'une modification de l'activité du travail, par l'élargissement de sa mission. Il s'est en effet vu déléguer la responsabilité de la réception et de la gestion de la circulation des plans de béton, ainsi que celle du calcul du cubage pour les commandes de béton, à partir du plan de cycle. Le traceur estime que cette responsabilité est intéressante. Elle lui donne en effet, une vision du travail plus complète, à partir de la connaissance des plans, et elle approfondit son orientation vers une mission d'études, de calcul et de vérification. Par le biais de la vérification et de la gestion des plans, elle le désigne aussi comme un agent-clé de la réaction à l'événement, moins sous l'angle du cycle comme outil d'ordonnancement du travail, que sous l'angle de l'ordonnancement de la production. Cette division du travail le désigne, de fait, comme un "interlocuteur-ressource" pour le chef de chantier. Face à l'anticipation et à la réaction aux aléas, les compétences de l'un et de l'autre apparaissent étroitement complémentaires, mais en lui permettant de développer et d'approfondir ses connaissances dans l'étude des plans et des métrés, elle le désigne aussi comme un interlocuteur important dans l'amélioration des interfaces entre la gestion de production et le chantier. Elle est susceptible de le mettre en rapport avec d'autres interlocuteurs, en particulier avec le bureau d'études Béton pour ce qui concerne les plans béton, en plus du conducteur de travaux. Ce souhait émis par le traceur, et qui n'a pas été réalisé dans le cadre de la REX, indique pourtant une voie où se dessinent les formes possibles d'une amélioration de l'autonomie reposant sur l’accroissement des interactions (interdépendance) et des coopérations, dans une configuration de savoirs différents : "Le chef m'a dit que normalement je pourrais être en rapport avec le bureau d'études Béton. Là, oui, cela m'intéresse beaucoup. Parce que des fois, il y a des problèmes de plans, j'en parle aux chefs mais je ne sais pas si ça remonte au bureau d'études. Pour moi, ce serait un moyen de suivre directement. Oui, là ça m'intéresse, j'en attends beaucoup".

Cette orientation vers un travail technique peut apparaître plus facile et plus stimulante au traceur que l'orientation vers un travail de supervision hiérarchique. Elle conforte en effet l’importance du savoir professionnel qui fonde le métier de traceur.

Il est par ailleurs intéressant de noter que les avis du traceur et de l’aide-traceur divergent quant aux effets bénéfiques de cette délégation, du moins en ce qui concerne le calcul du cubage de béton car l’aide-traceur n’a pas géré seul les plans de béton. L’aide-traceur, qui a donc effectué le calcul du béton lorsqu’il remplaçait le traceur, a estimé que cette tâche était lourde à assumer, notamment "parce qu’elle oblige à interrompre le traçage des voiles". Cette différence de points de vue est facile à comprendre car elle ne fait que refléter l’inégale maîtrise du traçage par le traceur et l’aide-traceur. Pour le premier, le calcul du béton est une responsabilité supplémentaire qu’il sait intégrer dans l’activité de traçage. Pour le second, c’est une activité qui vient perturber la tâche en cours dont il n’a encore qu’une maîtrise imparfaite, surtout dans son déroulement temporel. Ce qui est vécu par l’un comme un surcroît d’autonomie et de responsabilité est ainsi vécu par l’autre comme un frein au bon déroulement de l’activité et comme une limitation de ses marges de manœuvres, dans une situation d'apprentissage.

Cet attachement à la professionnalité explique aussi le faible intérêt que le traceur peut trouver à des outils visant à simplifier son travail. Ainsi, par exemple, pour ne pas accroître encore la charge de travail très importante du traceur, par l’ajout pur et simple d'une autre tâche, il avait été prévu de réaliser un traçage simplifié pour la pose des mannequins de fenêtres et de portes. Pour ce faire, la fabrication des mannequins devait inclure certains repères, nécessaires à la mise en œuvre du traçage simplifié. Non seulement ces conditions n’étaient pas favorables pour les compagnons chargés de la pose des mannequins, mais encore elle était peu prisée du traceur. Il a fallu revenir sur cette évolution du travail.

De même, pour aider le traceur dans son calcul du cubage de béton, le bureau des méthodes avait prévu de fournir des pré-calculs, sur la base du déroulement du cycle. Cette dernière disposition n’a pas, elle non plus, eu toute l’efficacité souhaitée en raison d’une trop grande discordance entre le cycle prévu et celui réalisé.

En revanche, tout ce qui étend la mission vers la maîtrise des événements techniques intéresse le traceur et elle est à la source du même intérêt pour le développement d'interactions avec les bureaux d'études, que celui exprimé par le chef de chantier à l'égard du bureau des méthodes.

  • L'importance des tensions

Entre la filière ascensionnelle vers la maîtrise et l'élargissement de sa mission vers d'autres tâches techniques, on mesure les tensions auxquelles se trouvaient confrontés les acteurs. S'y ajoutent les tensions qui s’expriment entre l’intérêt conféré aux responsabilités nouvelles et à la part d’autonomie reconnue, et l’importance des pressions temporelles, d'autant que, comme nous l’avons déjà développé, le traceur avait aussi la responsabilité de la formation de l'aide-traceur. Partagé entre ses missions de délégation et la formation, la coordination et le contrôle qu'il devait assurer vis-à-vis de l’aide-traceur, en plus de son propre travail, le tout sur quatre jours, le traceur a pu avoir ce sentiment de surcharge difficile à gérer à partir du milieu du cycle. De même en est-il, dans une moindre mesure, de l'aide traceur.

Si les conditions réunies sur le chantier expérimental apparaissent porteuses de satisfactions importantes, elles étaient donc aussi une source de pression mentale élevée ou encore de stress, pour utiliser le langage le plus couramment usité pour désigner ces situations. Les signes de ce stress sont nombreux : vérifications répétées de crainte de s’être trompé, réveil la nuit en pensant au travail, téléphone au chantier les jours d’absence pour vérifier que les informations sont bien passées, arrivée en avance le matin pour vérifier la préparation de la veille, fatigue physique ressentie en fin de journée, résultat de la tension accumulée plus que des efforts physiques eux-mêmes... Si l’on se réfère au modèle de Karasek (psychologue suédois), on est ici dans une configuration où les salariés sont fortement sollicités sur le plan des exigences du travail, physiques et surtout mentales, tout en disposant d’un support social important (soutien de l’encadrement et des collègues) et d’une forte latitude décisionnelle (autonomie et responsabilité importantes). Cette configuration est généralement favorable du point de vue de la santé psychique à condition toutefois que des régulations puissent s’opérer au niveau de la charge de travail, le maintien d’une charge excessive sur une longue période pouvant faire basculer les équilibres par le seul fait de la fatigue qui, si elle s’accumule, finit par diminuer les capacités et est source d’erreurs en même temps que de risques accrus d’accidents.

Dans tous les cas, l'exemple du traceur est parfaitement illustrative des dilemmes que soulève le principe de la suppression du chef d'équipe : comment concilier la formation d'un échelon intermédiaire, susceptible de seconder le chef de chantier, et le besoin de profils nouveaux aptes à intervenir dans le traitement d'évènements multiples. La figure du traceur cristallise l'importance des compétences tournées vers la coordination hiérarchique et l'interface technique. Mais elle montre dans le même temps comment elles sont susceptibles de se renouveler l'une et l'autre.

Les compétences et les formes d’autonomie au niveau des leaders et des compagnons

Dans le cas des leaders et des compagnons, la REX est porteuse de deux types d'enseignement.

- D'une part, elle montre une forte congruence entre l'intérêt manifesté pour les tâches de régulation locale (rotation des effectifs, commande du petit matériel) et l'attachement privilégié à une forme d'autonomie, proche de l'autonomie-indépendance (régulation autonome de l'équipe), y compris à propos de la distribution du plan de cycle.

- D'autre part, elle montre, à travers les différences observées entre les équipes et plus spécialement entre l'équipe des planchers et celle des voiles, la pluralité des situations rencontrées.

  • La congruence entre l'intérêt porté aux missions de régulation locale et l'attachement à l'autonomie-indépendance

Malgré les différences de situations et de contraintes entre l'équipe des voiles et l'équipe des planchers et du ferraillage, un point commun se dégage qui repose sur une telle congruence.

La REX prévoyait, en effet, de confier aux équipes de compagnons, via la désignation de leaders, une délégation de responsabilité concrète : en l'occurrence la commande de petit matériel, la réception et le contrôle du gros matériel (consoles de sécurité, banches et skydecks.), et une délégation de mission de régulation locale : chacune des équipes devait gérer la présence tournante de ses membres, en respectant quelques règles.

Pour ce qui est des commandes de petits matériels, les compagnons y sont favorables à l’unanimité, et les leaders se sont organisés pour disposer, en temps voulu, des moyens nécessaires, ce qui veut dire aussi qu’ils n’ont pas hésité à faire un peu de stocks pour se garantir la disponibilité des moyens de travail. Donner aux compagnons cette responsabilité sur leurs moyens est à l’évidence un atout majeur.

La réception des gros matériels, consoles, banches et skydecks, qui est une opération beaucoup plus ponctuelle que la commande des matériels d’usage courant, a également bien fonctionné, même si le contrôle ne peut être fait immédiatement compte tenu des types de colisage des produits. Elle est l’occasion de vérifier la conformité des moyens et de responsabiliser les compagnons sur leurs matériels. L’efficacité de cette réception semble cependant meilleure au niveau des planchers, mais l’équipe des planchers a aussi, en plus de la commande et de la gestion de son petit matériel, disposé d’une autonomie dans la définition de ses besoins en matériel (skydecks). Cette disposition était importante car l’équipe, sous l’impulsion d’un des leaders, a choisi une technique particulière de mise en œuvre de ce matériel qui simplifie le travail de réglage sans pénaliser la qualité. Cette technique, différente de celle préconisée par les méthodes, suppose des moyens un peu différents, il faut notamment plus de supports, et il était donc indispensable que l’équipe des planchers puisse définir ses besoins conformément à ses choix techniques. Au niveau des voiles et des banches, les commandes de matériels sont liées au cycle et les compagnons n’interviennent pas dans cette phase. Par ailleurs, il n’y a pas, comme aux planchers, de souplesse dans la mise en œuvre des banches.

De même, l’organisation de la rotation sur 4 jours, sur laquelle nous avions insisté pour qu’elle soit du ressort des équipes, fonctionne parfaitement. Ceci explique, comme nous le verrons, le vécu particulièrement négatif du changement d’organisation non concerté les semaines avec un jour férié.

Ainsi, il est remarquable d’observer que, chaque fois qu’on leur en a donné la possibilité, les compagnons se sont emparés de cette autonomie de décision qui leur confère une plus grande maîtrise sur l'organisation de leur activité.

Or, ceci n'est pas sans rapport avec l'attachement à l'autonomie-indépendance, qui apparaît largement valorisée au niveau des compagnons, et qui tranche, à cet égard, avec les situations que nous avons examinées jusqu'ici. Il est, en effet, tout aussi remarquable de noter que, à travers la diffusion du plan de cycle, c'est, semble-t-il, le renforcement de leur autonomie-indépendance que tous les compagnons et leaders ont visé, quelle que soit l'équipe concernée.

L'hypothèse que nous pouvons avancer, à propos de la diffusion du plan de cycle et de son usage par les leaders et les compagnons pour renforcer leur autonomie-indépendance, est que le principal enjeu, pour eux, est de récupérer de l'autonomie dans leurs rythmes de travail. On peut alors défendre l'idée que, derrière les fortes disparités qui ont marqué les situations de l'équipe des voiles et de l'équipe des planchers, se joue une indéniable similitude dans les objectifs recherchés. Ce qui ne signifie pas l'absence de tendances d'évolution qui se sont manifestées également à l'occasion de la REX.

  • Entre disparités et similitudes : les situations contrastées de l'équipe des voiles et de l'équipe des planchers

Rappelons que le principe de la diffusion du plan de cycles aux leaders, qui se pratique depuis quelque temps dans l'entreprise, était l'une des mesures importantes de la REX. Dans les faits, les difficultés rencontrées pour suivre le cycle, que nous avons développées précédemment, ont conduit le chef de chantier à réaliser le plan de cycle au jour le jour. Sur la base du plan de cycle préétabli, le chef de chantier "stabylotait" les informations nécessaires : il reportait en plein les voiles réalisés dans la journée et en pointillé les voiles à réaliser pour le lendemain. Ce plan, établi en plusieurs exemplaires, était ensuite diffusé par le chef de chantier auprès des différentes équipes, de voiles, de ferraillage et de planchers. Le document, remis aux leaders, pouvait servir de base à une discussion sur l’organisation du travail du lendemain. Tous les compagnons ont souligné l’importance de disposer d’un tel document. Toutefois, en fonction des évènements, le chef de chantier pouvait être conduit à réaménager le programme prévu et discuté la veille avec les équipes. L’importance de cette incertitude renforçait les besoins d’ajustements permanents et de dialogue avec les compagnons. Elle souligne, dans tous les cas, à quel point ces interactions apparaissent déterminantes et profondément associées au principe de "réactivité".

Toutefois, le principal avantage attendu, du côté des compagnons et de leurs leaders, était la possibilité de récupérer plus d'autonomie sur l'organisation et le rythme de leur travail. Cette même conclusion se dégage, à notre avis, des situations pourtant tout à fait opposées de l'équipe des planchers et de l'équipe des voiles. Tandis que la première voyait cette possibilité se concrétiser et y participait activement, la seconde la voyait s'éloigner au fur et à mesure de l'avancement du cycle.

• l’équipe des planchers a en effet cumulé des conditions positives et les résultats de la REX convergent pour conclure à une grande qualité de l'interaction et de la coopération au sein de l'équipe et au sentiment d' un accroissement de l'autonomie. Mais ils convergent aussi pour montrer que ces résultats sont bien le fruit de la construction des acteurs eux-mêmes : du maître-bâtisseur aux compagnons, en passant bien évidemment par les leaders, chacun y a contribué à sa manière. Les services de l'entreprise n'étaient pas en reste non plus : le recours à un procédé et à un matériel, le skydeck, qui autorise une moindre dépendance par rapport à la grue parce que beaucoup plus léger, a été très apprécié des compagnons, d’autant plus qu’ils ont pu aussi adapter le procédé à leurs propres besoins et selon leurs logiques d’usage.

La personnalité des leaders a joué un rôle déterminant par la manière dont ils ont su interpréter les fonctions et les responsabilités qui leur ont été confiées. Ils ont su mettre à profit cette situation pour favoriser l'interaction et la coordination avec la maîtrise mais aussi très largement l'autonomie et la coopération au sein de l'équipe : "Ici, c’est en train d’évoluer, d’un coup, le Bâtiment, les chefs, tout ça. Je ne sais pas si ce sont les 35 heures ou quoi, mais c’est vrai qu’on dialogue beaucoup plus. Oui, il y a un changement." (Leader plancher)

Sous l'angle de l'autonomie, l’équipe en est venue à se passer des plans de calepinage établis par le fournisseur et à récupérer une plus grande maîtrise sur son rythme de travail, du fait qu'elle pouvait se passer partiellement de la grue : "Le skydeck, c’est super, c’est léger, on peut les trimballer partout, à la main ; il y a un gain de temps rien qu’au coffrage-stockage, le temps de réglage est complètement différent. Et puis il y a plein de petites astuces… On a tout changé et on change tout le temps, on essaie des tas de manières différentes. Il y en a toujours un dans l’équipe qui dit : "Si on essaie de faire ça ?". Après, c’est une question de matériel, on essaie de voir si c’est possible. Des fois, on se trompe, ça peut nous arriver ; on se trompera une fois, mais pas deux." ( Leader plancher)

Cette plus grande autonomie est allée de pair avec une amélioration de la coopération au sein de l'équipe, en partie du fait de l'interprétation de sa mission par le leader, soucieux de se démarquer d'une forme hiérarchique d'autorité : "Le chef de chantier, des fois il s’adresse à moi, mais moi j’aime bien qu’il y ait tous les autres. J’essaie le maximum de fois de faire qu’on soit ensemble". La présence de deux leaders par équipe suppose qu’ils discutent et se mettent d’accord sur les actions à entreprendre. La REX a été dans le cas de l’équipe des planchers une occasion de développer des formes de coopération qui se sont largement traduites au niveau de l’efficacité du travail.

• l’équipe des voiles connaissait, quant à elle, des conditions bien moins favorables. Elle a, en effet, tout "essuyé" : l'intégration de tâches supplémentaires, la dégradation de certains mannequins de fenêtre au fur et à mesure de l’avancement du cycle, la pénurie de main d'œuvre et le recours à des travailleurs intérimaires, qui ne maîtrisaient ni le matériel ni les modes opératoires ni l'accoutumance à un rythme de travail aussi soutenu, les évènements qui ont poussé à "sortir du cycle", les caractéristiques géographiques du chantier qui ont conduit à dédoubler partiellement l'équipe, etc.

L'intégration des tâches supplémentaires concerne, d'une part, la pose des mannequins dans le cadre de l'expérimentation d'un traçage simplifié, d'autre part, le contrôle des ouvertures (portes et fenêtres) après le décoffrage. La première série de tâches (la pose des mannequins avec traçage simplifié) avait été pensée avant tout dans le but de simplifier le travail des traceurs et de dégager ainsi du temps pour d’autres tâches. Les conséquences pour les compagnons n’avaient pas été envisagées jusqu'au bout. Or il s’est avéré que le traçage simplifié avait des conséquences négatives pour les compagnons obligés, entre autres, de travailler systématiquement à deux. En même temps, il leur était d’autant moins facile de faire valoir leurs difficultés que le changement leur avait été présenté comme bénéfique aussi pour eux ou au moins sans effets négatifs. Ils ont donc cherché les moyens de réaliser ce travail dans de bonnes conditions avant de faire savoir que la situation ne permettait pas de mettre en œuvre des modes opératoires efficaces, en termes de temps et de charge physique.

En ce qui concerne le contrôle des ouvertures, les compagnons sont unanimes pour en souligner l’intérêt et ils ont même indiqué qu’il fallait aussi intégrer le contrôle de l’axe des fenêtres ce qui n’avait pas été initialement prévu. Pour les compagnons, la réalisation des contrôles peu de temps après le décoffrage facilite les conditions de reprise des défauts constatés à cette occasion, la récupération étant d'autant plus aisée que le béton est encore frais. Cependant, le temps quotidien nécessaire pour assurer ces contrôles avait été très sensiblement sous-évalué. Ce sont ces constats qui ont conduit les équipes à demander à ce que cette charge de travail supplémentaire ne leur soit pas imposée, sauf à diminuer la production journalière ou à disposer d’effectifs supplémentaires. L’intérêt des contrôles n’étant pas remis en question, le choix a donc été fait de désigner une personne extérieure aux équipes des voiles et des planchers pour le réaliser. L’expérience a toutefois été arrêtée avant la fin du cycle en raison notamment de problèmes d’effectifs mais aussi du fait de défauts récurrents liés à la dégradation des mannequins de fenêtres. Nous reviendrons par la suite sur les problèmes liés aux mannequins. Des enseignements pour le futur ont pu néanmoins être tirés de cet essai. Il a en effet permis de quantifier le temps nécessaire à la réalisation d’un contrôle efficace (de l’ordre de 10mn par fenêtre, selon sa taille et "l’état des lieux" (axe au sol visible, espace dégagé…), et un peu moins pour une porte) et, par le fait, d’en mesurer l’intérêt économique, compte tenu des effectifs supplémentaires requis d’un côté et des gains obtenus par la détection précoce des défauts de l’autre.

Par ailleurs, les aléas qui ont conduit à sortir du cycle se sont traduits, de fait, par un dédoublement de l'équipe pendant une partie du cycle et ont entraîné un moins bon lissage de la charge de travail. Le nombre de mètres-linéaires de voiles a ainsi pu monter jusqu’à 54 ml certains jours, le chef de chantier cherchant à "rattraper" les retards inévitables ou à "anticiper" les problèmes prévisibles. Les conditions de travail en ont sensiblement pâti.

Les conséquences de cet ensemble de difficultés ont d’abord porté sur l’autonomie de l’équipe des voiles. En effet, tandis que le début et la fin de l’expérimentation, c’est-à-dire les périodes hors cycle, ont permis aux compagnons l’exercice de responsabilités nouvelles, parce qu'ils ont disposé alors d'une certaine autonomie d’organisation, la situation était radicalement différente pendant toute la durée du cycle. Plus encore, la conjonction de tous les éléments que nous venons de mentionner, associée à la pression temporelle, ont fait que les compagnons ont même eu le sentiment de disposer d'une moindre autonomie qu'habituellement : "On en a fait moins que d’habitude", disent-ils. Les leaders ont même eu le sentiment de ne rien maîtriser pendant presque toute la durée du cycle,  ce que l’un d’eux résume ainsi : "Je n’ai rien compris au cycle".

Les problèmes rencontrés ont aussi eu des conséquences en termes de coopération et d'anticipation. Le travail sur deux niveaux pendant certaines phases du cycle a rendu plus difficiles les coopérations et a également développé la concurrence vis-à-vis de la grue, créant ainsi une situation tout à fait paradoxale au sein de l’équipe des voiles. L’observation du travail d’un compagnon bancheur, sur une journée complète, a ainsi montré qu’il avait travaillé seul pendant les deux tiers du temps et que la majorité des coopérations se situait dans la phase de coulage du béton qui s’effectue systématiquement à deux. La situation s’est encore aggravée lorsque les travaux sur la crèche ont commencé, car du fait de l’indisponibilité de la grue, il est devenu impossible de préparer quoi que ce soit la veille, notamment les sécurités, ce que l’organisation sur 9 heures avait en partie permis jusque-là : "Avant la crèche, on arrivait à finir à 17h30 et à avancer pour le lendemain".

Tous ces éléments contribuaient à rendre l'interaction plus problématique, mais aussi à faire perdre à l'équipe une meilleure maîtrise sur le rythme de travail, perspective un moment entrevue. En effet, l’impossibilité de suivre le cycle ne facilitait pas l’anticipation sur le travail du lendemain et surtout ne permettait pas aux compagnons de gérer eux-mêmes le déplacement des banches. Et même si le chef de chantier s’efforçait, comme nous l’avons vu, de préparer la veille le travail à effectuer et d’en informer les compagnons, l’incertitude sur la possibilité réelle de réaliser le programme prévu faisait qu’il prenait, la plupart du temps, lui-même la responsabilité du guidage de la grue. Le travail en partie sur deux niveaux différents, avec une équipe divisée en deux dans ces cas là, puis la gestion simultanée de la crèche, n’ont fait que renforcer l’impossibilité de déléguer à l’équipe des voiles la gestion de la grue pendant la période où elle lui était normalement réservée. Les compagnons se sont donc senti dépossédés de leur capacité à organiser eux-mêmes le déplacement des banches et donc à organiser le travail de l’équipe selon les "règles de l’art".

Enfin, l'équipe des voiles subissait les retombées de cette situation au niveau de ses horaires quotidiens et de la fatigue. En effet, en termes de temps, les conséquences ont été directes, l’équipe des voiles quittant presque systématiquement le chantier 15 à 30 minutes après 18h. Une faible partie des retards a été due à une arrivée tardive du béton car la fin de chantier à 18h était plutôt favorable à une livraison du béton en temps et en heure. Les retards ont en fait été dus à plusieurs éléments combinés. D’une part, les temps d’attente de la grue, pour déplacer ou fermer les banches, ont été plus importants qu’habituellement. D’autre part les temps de réglage des banches ont souvent été plus longs, les compagnons étant contraints de travailler plus souvent seuls, le travail de l’équipe dans deux espaces géographiques distants limitant les coopérations instantanées qui s’opèrent généralement au sein de l’équipe, les compagnons étant attentifs aux moments où le travail à deux voire à trois, pour réceptionner et positionner un voile préfabriqué par exemple, devient nécessaire. Enfin, les délais ont été accentués par les manutentions manuelles que les compagnons ont dû faire, du fait de l’indisponibilité de la grue. À plusieurs reprises, en particulier, ils ont dû déplacer manuellement des mannequins de fenêtre, et cela d’un niveau à un autre, c’est-à-dire en empruntant les escaliers. Il faut noter qu’outre l’allongement des délais, ces manutentions comme certains réglages exécutés seuls ont largement contribué à accroître la fatigue et à rendre encore plus coûteux les dépassements horaires sur ces journées de 9 heures. De plus, sur ce chantier, les compagnons ont été confrontés aux difficultés liées à la taille des fenêtres. Les tiges assurant la fermeture des banches en partie basse butaient régulièrement sur les mannequins de fenêtres que les compagnons devaient alors découper. Ce problème récurrent a ajouté une contrainte supplémentaire à l’équipe des voiles. Pour éviter les défauts inévitables après plusieurs réutilisations des mannequins, les compagnons auraient souhaité disposer de mannequins neufs et "prédécoupés", le problème se reproduisant inévitablement d’un étage à l’autre. Ils n’ont pu obtenir satisfaction sur ce point pas plus que sur les mannequins de porte de 18, sur lesquels il fallait forcer pour qu’ils rentrent dans les portes, ce qui n’était pas le cas des mannequins de 15. La reconnaissance des difficultés engendrés par ces problèmes a cependant été clairement notée et des recherches concernant les moyens d’anticiper sur les difficultés ont été engagées. Elles concernent à la fois la précision des plans, à partir desquels sont établies les prévisions et commandes de matériels, la conception des mannequins et l’organisation du cycle. Les résultats de ces recherches devraient être pris en compte dans les futurs chantiers, sachant que des problèmes semblables sont rencontrés sur environ un tiers des chantiers.

Ainsi, dans le cas de l'équipe de voiles, les conditions de déroulement du chantier n’ont pas permis aux dispositions mises en place de jouer à fond dans le sens d’une organisation qualifiante.

Le grutier de remplacement. Enfin, au titre de l'organisation qualifiante, il convient de signaler la position du grutier de remplacement. Bien qu’inscrit dans des horaires particuliers puisqu’il remplaçait le grutier en poste de 16h30 à 18h et certains jours entre 12h et 13h, le grutier remplaçant a bénéficié des conditions de la REX pour consolider ses compétences pour conduire la grue, en étant mis en situation de façon régulière et non plus occasionnelle comme c’était le cas auparavant. Il est tout à fait intéressant de constater que ce sont les compagnons du chantier qui ont en quelque sorte accompagné l’apprentissage du grutier et validé ses acquis professionnels. Ils n’ont en effet pas manqué, d’un côté, de lui indiquer les problèmes rencontrés lorsqu’il conduisait la grue et, d’un autre côté, ils lui ont fait savoir, ainsi qu’à la hiérarchie, ce qu’ils considéraient comme des progrès dans sa maîtrise de l’outil et sa compréhension des besoins du chantier.

  • Les outils d’information et de coordination

Plusieurs dispositions avaient été établies pour favoriser l’accessibilité et les échanges de données techniques et organisationnelles sur le chantier, entre les compagnons eux-mêmes ainsi qu’avec la maîtrise. Les compagnons ont mis à profit tous les supports qui ont été développés et regretté que l’organisation d’échanges collectifs réguliers n’ait pas été poursuivie jusqu’à la fin de l’expérimentation.

• L’organisation de la rotation des équipes sur 4 jours était affichée sur un tableau disposé dans le bureau du chef de chantier. Il indiquait la composition quotidienne des équipes sur quatre semaines consécutives, l’information étant donnée pour chaque compagnon : des cartons verts indiquaient la présence et des cartons rouges l’absence. Ce tableau, extrêmement clair et aisé à comprendre, a très bien fonctionné. Il était consulté régulièrement par les compagnons et la maîtrise et il permettait d’évaluer les possibilités de changement éventuel de jour de récupération au sein d’une équipe, tout en respectant les règles de base de la rotation.

• L’avancement du cycle a fait l’objet de deux documents : un état de l’avancement de la journée d’une part et un état prévisionnel du travail à réaliser le lendemain d’autre part, en remplacement du plan de cycle qui n’a pu être suivi tel que prévu. Le chef de chantier indiquait ainsi tous les jours, sur un plan affiché dans son bureau, les m2 de planchers et les ml de voiles réalisés dans la journée. Ce plan était en particulier consulté par les leaders qui viennent fréquemment dans le bureau du chef de cycle soit pour échanger des informations soit pour passer leurs commandes de petit matériel soit encore pour prendre ou ranger ce petit matériel stocké dans les armoires installées dans le bureau du chef de chantier. Le plan prévisionnel d’avancement du cycle, produit la veille pour le lendemain, était remis aux leaders et servait généralement de base à une discussion sur l’organisation du travail du lendemain. Nous avons vu que tous les compagnons ont souligné l’importance de disposer d’un tel document. Le chef de chantier lui-même en avait clairement conscience, son seul souci étant de disposer d’informations suffisamment fiables la veille pour être sûr de ne pas produire une prévision dont il aurait dû par trop s’éloigner le lendemain. Cela aurait inévitablement engendré des conflits avec les équipes préparées à agir d’une certaine façon et contrariées ensuite dans leur cours d’action. L’organisation du chantier n’a pas été très favorable à cette construction de l’information et tous les acteurs l’ont clairement regretté car cela a été un facteur de diminution des marges de manœuvre pour tous.

• L’heure hebdomadaire d’information-formation : une organisation à revoir face à des attentes fortes de la part des compagnons

Le choix avait été fait de réserver une heure par semaine, en moyenne, c’est-à-dire que cela pouvait aussi être deux heures tous les 15 jours ou une demi-journée par mois, pour discuter collectivement les questions relatives à l’organisation du chantier. Ces échanges pouvaient se faire avec la totalité des compagnons et cela a été le plus souvent le cas, comme lorsqu’il s’agissait de questions générales de sécurité, ou par équipe, selon les questions traitées. Les compagnons ont particulièrement apprécié ces réunions, mais ils ont également constaté, pour le regretter vivement, qu’elles se faisaient plus rares avec l’avancement du chantier, en même temps que les pressions temporelles sur le travail s’accroissaient, et elles n’ont plus été organisées après le mois d’avril c’est-à-dire à peu près à mi-parcours de la REX ce qui correspondait aussi à l’entrée dans le cycle.

L’arrêt progressif des réunions d’information et de discussion a été moins vivement ressenti par les leaders que par les compagnons. Pour ces derniers en effet, même si la prise de parole n’est pas facile, ces réunions communes valorisaient leur place comme acteur à part entière du chantier et ils pouvaient s’exprimer, sur des questions propres au chantier, sans passer par la médiation du leader. Elles étaient pour eux un lieu de "reconnaissance" de leur investissement professionnel et de leur participation active à la réussite du chantier. La question s’est moins posée pour les leaders qui se sont appropriés très vite le rôle de diffuseur d’information. Il leur fallait impérativement disposer, de la part de la maîtrise de chantier, des informations nécessaires à l’organisation du travail avec les compagnons de l’équipe et il leur fallait aussi entendre les besoins ou les problèmes rencontrés par les compagnons pour les faire remonter auprès de l’encadrement de chantier si les solutions dépassaient les moyens ou les compétences de l’équipe seule. Les réunions étaient donc en quelque sorte un peu moins stratégiques pour les leaders qui ne pouvaient se permettre d’attendre qu’elles soient programmées pour agir.

Force est aussi de reconnaître que le statut de l’heure de réunion hebdomadaire était très peu défini. Dans les faits, ce temps n’a été utilisé qu’à l’initiative de la hiérarchie, lorsqu’elle avait des "messages" à faire passer ou en réponse à une situation de "crise" comme dans le cas des problèmes de pose des mannequins suite à la mise en place du traçage simplifié. Cette heure d’information-formation, loin d’être mise à la disposition des équipes est donc restée sous le contrôle de la hiérarchie et n’a pas permis une véritable mise en circulation des problèmes du chantier sur lesquels les compagnons auraient souhaité échanger en commun pour, le cas échéant, élaborer les solutions et les compromis satisfaisants pour tous.

Cette limitation importante à la participation des équipes à l’organisation de leur travail, alors même qu’elles avaient pu projeter un fonctionnement plus ouvert que sur les autres chantiers, explique que si les compagnons ont, dans leur très grande majorité, estimé que la qualité des informations dont ils disposaient sur ce chantier était bonne, ils ne sont qu’une minorité (5 sur 14) à estimer qu’elle était meilleure que sur les chantiers habituels.


Interaction et objectivation : les enseignements de la REX au niveau du groupe de travail

La REX avait aussi pour objectif de tirer parti de l'expérimentation pour contribuer à repenser le travail des méthodes.

Cet aspect ne rentrait pas directement dans le champ de notre évaluation. Néanmoins, il est possible de dégager des enseignements de la REX, quelques remarques et quelques questions au regard de cet objectif.

En effet, le mérite qu'il y a à souligner l'importance de "repenser" le travail des méthodes est de mettre l'accent sur la nature des mutations en cours. Tel que nous l'interprétons, cet objectif traduit en fait la prise de conscience du renouvellement des termes dans lesquels se pose l'efficacité. Celle-ci ne peut plus se concevoir aujourd'hui sur le mode d'une planification séquentielle et linéaire des tâches, et encore moins d'une modélisation opérationnelle définie ex ante par les concepteurs ou les organisateurs indépendamment des réalisateurs. La complexité croissante des opérations, leur non repétitivité, l'importance que tend à prendre la réactivité à des évènements non programmés se conjuguent pour favoriser la recherche d'une coopération plus étroite entre les concepteurs et les utilisateurs, les méthodes et le chantier, mais aussi entre les différents services et les différentes fonctions de l'entreprise.

Or, cette coopération ne peut plus être attendue de mécanismes régulateurs qui feraient l'économie du dialogue et de l'interaction.

Aussi avons-nous été attentives, au sein de groupe de travail composé, du côté de l'entreprise, par les représentants des Méthodes, de la direction de travaux et de la maîtrise du chantier, aux différentes représentations de l'efficacité et à leurs formes d'objectivation dans des outils, des dispositifs ou des procédures. La question qui nous intéressait était la suivante : en quoi la conception de l'organisation qualifiante traduit-elle des changements dans les représentations de l’efficacité ? En quoi, s'accompagne-t-elle de la conception et de la production de nouveaux outils ?

Sur le fond, on peut émettre l'hypothèse que l'organisation est aujourd'hui constamment sollicitée par des "évènements" qui viennent perturber les actions programmées. De ce fait, les acteurs se trouvent dans l'incapacité de "prescrire" des tâches et de fixer des programmes de coordinations stables, comme par le passé. On peut rejoindre K. Chatzis lorsqu'il en tire pour conséquence l'hypothèse d'un changement quant aux formes et au statut de l'autonomie dans le fonctionnement des organisations : du côté managérial, l'appel à l'autonomie répondrait moins au souci de remplir les "blancs" ou l'incomplétude inévitable de la programmation, il viserait plutôt à autoriser une "reconfiguration" de l'organisation et du système de production afin de répondre aux "évènements" qui le sollicitent. Dès lors, l'autonomie ne peut plus s'exercer au sein de territoires isolés, mais plutôt à l'intérieur d'un réseau d'interactions à géométrie variable.

On peut émettre l’hypothèse que le travail de production sur un chantier répond précisément à ce cas de figure. Les situations à gérer se font donc plus complexes, avec deux incidences notoires qui nous intéressent ici.

La première tient aux limites que rencontrent, dans ce contexte, les visions de l’efficacité qui reposent sur une rationalité instrumentale, que nous pourrions définir comme des visions "classiques", au profit de formes de rationalité davantage fondées sur l’interaction, ce que certains appellent la "rationalité communicationnelle".

La seconde porte sur la refonte des processus de décision, aucun acteur n’étant assuré de l’effectivité de son action, indépendamment de la construction d’un accord avec les différentes parties intéressées.

En d’autres termes, l’efficacité relèverait de plus en plus d’ une "construction sociale" entre les acteurs. C’est ce que nous avons voulu tester aussi à travers le groupe de travail, en nous appuyant, en particulier :

  • sur l’examen des outils conçus pour accompagner la REX,

  • sur les adaptations et les rectifications, en cours de parcours, de ces outils et de leur usage, et d’une manière plus générale sur les dispositifs d’interaction.

Sur le premier point, notre questionnement visait à distinguer parmi les outils et les dispositifs, ceux qui relevaient d’une rationalité instrumentale classique et ceux qui au contraire ouvraient beaucoup plus sur les processus d’interactions.

L’une des caractéristiques de la REX était donc d’accorder une place importante à la conception de nouveaux "outils". Parmi ceux-ci, une distinction doit être faite. D’une part, il y a eu les "outils" destinés à simplifier les tâches ou les procédures, afin de faciliter les délégations ou les adjonctions de tâches supplémentaires, l’exemple nous en sera fourni par les plans simplifiés ou par les fiches d’auto-contrôle. Ces outils relèvent assez nettement de la "rationalité instrumentale classique" ce qui veut dire aussi que leur dimension prescriptive est importante. Ils n’ont clairement pas rencontré l'écho escompté auprès des compagnons, en raison notamment d’une prise en compte insuffisante des conditions réelles de travail et donc d’une inadéquation finale de ces outils aux situations dans lesquelles se trouvent les compagnons

Il y a eu, d'autre part, les outils ou les dispositions établies pour favoriser l’accessibilité et les échanges de données techniques et organisationnelles sur le chantier, entre les compagnons eux-mêmes ainsi qu’avec la maîtrise. Il s’agit d’outils ou de dispositifs conçus d’abord autour du dialogue et de l’interaction. C’est davantage à partir et autour d’eux que les acteurs ont puisé le principal ressort de l’organisation qualifiante.

Un cas intermédiaire entre les deux types d’outils précédents, et qui nous semble intéressant, est fourni par le diagramme journalier : l’idée à l’origine de ce diagramme est triple. D’une part, il s’inscrit dans et traduit un changement de représentation de l’efficacité productive : celle-ci serait moins attendue du taux de saturation de la grue que d’un meilleur lissage de son utilisation sur le chantier. D’autre part, ce lissage se traduirait par une répartition des plages allouées aux différentes équipes pour l'utilisation de la grue. Ces places constitueraient donc les points de rendez-vous intermédiaires de chacune des équipes dans la journée. Enfin, le diagramme journalier montre que l'autonomie des différentes équipes ne se joue pas de manière isolée, mais doit se construire dans l'interaction.

Selon qu'il est effectivement ou non construit dans l'interaction et dans la confrontation avec autrui, l'application du diagramme journalier peut prendre un tour très différent. Le fonctionnement par point de rendez-vous peut conduire à un facteur de pression supplémentaire, s’il vient se superposer à toutes les autres sources de contrainte, ou bien, il peut venir conforter les arguments d’une reconnaissance de plus en plus nécessaire de l’anticipation dont chacun devrait pouvoir disposer