Le nouveau pont est situé à 5 km en aval du pont suspendu
existant. Alors que le premier pont était à deux voies dans les deux sens, le
second sera à trois voies dans les deux sens. Le premier pont a été construit
à l'endroit le plus étroit de l'estuaire, de sorte qu'une seule travée
suspendue est suffisante pour franchir la Severn. Le second pont sera long
d'environ 5 km. La travée principale, longue de 418 m, sera haubanée à partir
de deux pylônes construits de part et d'autre du chenal de navigation. Cette
travée sera de structure mixte acier-béton. Les deux pylônes culmineront à
plus de 130 m au-dessus du niveau moyen des eaux.
Pour mener au pont, deux viaducs d'approche, en béton
précontraint, d'environ 2 km, seront construits à partir des deux rives. La
construction des viaducs se fera par encorbellement, et leur mise en place en
fléau équilibré se fera à l'aide de deux poutres lanceuses (une pour chaque
viaduc). Les éléments de viaduc (ou voussoirs) seront préfabriqués sur
chaque rive dans des usines de préfabrication pilotées par ordinateur pour
s'assurer de la géométrie finale de l'ouvrage en place. Les deux viaducs
reposent sur des piles préfabriquées sur la rive anglaise et assemblées
grâce à de la précontrainte verticale. Ces piles reposent elles mêmes sur
des fondations dont l'enveloppe extérieure (ou caisson) en béton armé est
préfabriquée sur la rive anglaise. Ces caissons, dont les plus lourds pèsent
2000 tonnes, sont posées sur le rocher sain, ou sur deux pieux forés, et sont
remplis de béton et de béton armé en place.
La préfabrication est donc largement utilisée dans les
méthodes de construction. Dès 1989, ce principe a été retenu pour libérer
le chantier des aléas dus aux conditions naturelles particulièrement
pénalisantes sur le site. L'endroit est en effet, rappelons-le, le deuxième au
monde pour l'amplitude des marées (14 m). Dans ces conditions, entre la marée
haute et la marée basse, plus de 75% de l'estuaire est découvert. Et le
courant, dont la vitesse maximale peut atteindre 12 nœuds, s'inverse en
quelques minutes. A cela s'ajoute que la vitesse des vents peut atteindre 120
kms/heure.
Compte tenu des difficultés rencontrées, ce chantier a
donné lieu à des innovations : caractère non standard du pont à
haubans; structure mixte acier-béton assemblée par boulonnage; équipements
maritimes tels que la barge SAR 3; conception du système de levage. C'est dans
le domaine des travaux maritimes et de la méthode de construction que se
situent les principales innovations.
Principes
de construction
Une bonne part de l'investissement des constructeurs est
représentée par la flotte de barges, dont la majorité sont amphibies (les
barges ont des "jambes" qu'elles posent sur le fond du fleuve afin de
se libérer des contraintes des marées). Sur une barge (Karlissa B) est
installée une centrale à béton et une autre (Karlissa A) est chargée
d'alimenter la première. Sur la barge Lisa A, deux grues Lampson de type
Transilift sont installées: elles peuvent soulever ensemble les caissons les
plus lourds, soit 2000 tonnes. Deux autres barges assurent la logistique, tandis
qu'une autre (SAR 3) transporte les caissons, les éléments du pont à haubans
et les piles préfabriquées.
Ces moyens maritimes permettent de prendre en charge les
caissons préfabriqués et de les placer avec précision dans le lit du fleuve.
Lorsque le caisson est en place, une étanchéité est réalisée de sorte qu'à
l'intérieur du caisson, les fondations des piles et des pylônes peuvent être
réalisées à sec. Sur ces fondations seront construites les piles par
assemblage d'éléments préfabriqués, solidarisés entre eux par la
précontrainte. Les pylônes sont fabriqués totalement en place et utilisent de
la précontrainte horizontale et verticale.
Les tabliers des viaducs sont mis en place à partir des
piles, en fléau équilibré. Pour ce faire, une poutre lanceuse est utilisée.
Elle est approvisionnée par l'arrière avec les voussoirs à poser, qui sont
acheminés jusque là sur la partie du viaduc déjà construite. Le tablier du
pont à hauban est préfabriqué par morceaux sur la rive anglaise et est
acheminé sur la barge SAR 3 jusqu'à son lieu de pose. Les éléments sont
alors assemblés provisoirement jusqu'à ce qu'un hauban les solidarise à ceux
déjà en place.
La période d'exécution du projet est de six ans. Elle
comprend deux grandes phases:
- d'avril 1990 à avril 1992: procédure d'approbation parlementaire,
études géotechniques complémentaires, études et méthodes générales,
définition des gros matériels spécifiques;
- d'avril 1992 à avril 1996: construction de l'ouvrage.
En raison des contraintes d'environnement et des contraintes
de planning, priorité a été donnée à la préfabrication à terre du plus
grand nombre possible de composants de l'ouvrage. Il apparaît donc que ce
projet a été l'occasion d'innovations technologiques non négligeables, en
partie à cause de la contrainte que font peser des conditions naturelles très
difficiles, en partie à cause des contraintes technico-financières liées au
projet. "L'intérêt des concessions est qu'elles permettent
l'innovation. On prend plus de risque que dans un contrat classique car le prix
dans une concession est forcément forfaitaire" appréciait l'un de nos
interlocuteurs.
Organisation
du chantier et management
L'ensemble du staff de la joint venture compte 130 personnes,
dont 30 Français. En raison de sa taille, le chantier a été divisé en quatre
grandes sections de travaux:
- les travaux maritimes: fondations, transport et levages maritimes;
- le viaduc Avon: préfabrication de l'ensemble des caissons de fondation et
piles, ainsi que préfabrication et montage du tablier;
- le viaduc Gwent: travaux terrestres, préfabrication et montage du
tablier, ainsi que l'aire de péage;
- le pont à haubans: construction des pylônes, assemblage et montage du
tablier.
Tous ont insisté sur le fait qu'il s'agit d'une joint
venture intégrée et qu'il n'y a pas de répartition du travail spécifique
entre GTM et Laing. Qu'ils viennent de l'une ou de l'autre entreprise, tous les
salariés, cadres et ouvriers, sont "Laing-GTM", c'est-à-dire qu'ils
dépendent de la joint venture. De fait, les cadres de chacune de ces sociétés
ont un contrat spécifique de mise à disposition, afin de ne pas perdre leurs
droits acquis dans l'entreprise d'origine.
Ces précisions apportées, on note cependant la répartition
suivante:
- la construction des piles et la préfabrication des voussoirs pour le
viaduc Avon sont dirigées par un responsable anglais;
- la construction des piles, la préfabrication et l'érection des voussoirs
pour le viaduc Gwent sont dirigées par un responsable français;
- la réalisation du pont à haubans est dirigée par un responsable
français;
- la gestion des travaux maritimes est dirigée par un responsable anglais.
Entre ces différentes sections, les effectifs se
répartissent ainsi. Pour le pont à haubans, 160 personnes de la joint venture,
réparties à peu près moitié/moitié entre ceux qui travaillent à terre (la
préfabrication des éléments du tablier) et ceux qui travaillent à
l'assemblage sur place au-dessus de la rivière. Mais le pont à haubans
regroupe aussi les équipes des sous-traitants. En effet, si les calculs
généraux ont été faits par Halcrow SEEE, deux parties d'ouvrages ont été
sous-traitées:
- la charpente métallique qui a été sous-traitée à la société
italienne Cimolai. Les éléments sont fabriqués en Italie, expédiés en
Angleterre et préassemblés sur place par un sous-traitant de Cimolai;
- la conception et la réalisation du pont à haubans ont été
sous-traitées à PSE/Freyssinet. PSE est la filiale anglaise de Freyssinet.
Toute la partie design a été faite par Freyssinet France. La société
mère assure aussi la fourniture des composants et PSE leur mise en œuvre.
Le chemin critique passe par le pont à haubans. Celui-ci
connaissait en septembre 1994, lors de notre enquête, près de quatre semaines
de retard.
Pour le viaduc Gwent, 110 personnes travaillent en temps
normal, c'est-à-dire en incluant la préfabrication des voussoirs (à l'atelier
40 ouvriers + 30 ferrailleurs + des pompistes). Les responsables rencontrés
soulignent que, par leur taille et leur volume, les voussoirs fabriqués pour le
Severn Crossing représentent une innovation. Selon nos interlocuteurs, les
Anglais ne connaissaient pas, avant ce chantier, le système du coffrage
métallique à presse hydraulique. Sur le viaduc, l'encadrement est plus
largement français: un ingénieur français pour les travaux sur l'aire de
péage, deux à la fabrication des voussoirs, deux avec un conducteur de travaux
anglais à la pose des voussoirs et encore deux français au travail in situ
(piles et pylônes). Sur l'ensemble de Gwent, on compte 200 ouvriers et 35
personnes d'encadrement.
Difficultés
rencontrées pour "rentrer dans les cycles"
Nos interlocuteurs nous font part des difficultés à trouver
un système de travail qui permette de rentrer dans les cycles à la pose des
voussoirs. Il a fallu neuf mois pour rentrer dans les cycles à la
préfabrication. Cette difficulté est mise en relation avec le système social
d'organisation du travail: en particulier, l'inexpérience de la main-d'œuvre
du chantier sur ce type de technique et l'organisation de cette main-d'œuvre en
métiers très spécialisés.
"On a quand même l'impression que la main-d'œuvre
est moins qualifiée qu'en France et ceci est exacerbé par le fait que le
degré d'une qualification au sein de chaque métier n'est pas reconnue. Et
puis, pour des chantiers très techniques comme celui-ci, la
compartimentation nuit à la production", remarquait l'un de nos
interlocuteurs.
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